Accélérer les transitions : investir le récit plutôt que le raconter !

par | Juin 21, 2023 | Idée, Uncategorized | 0 commentaires

Depuis septembre 2022, le Campus des Transitions de Sciences Po Rennes à Caen a introduit un enseignement consacré à l’Écologie culturelle. À la rentrée prochaine, il accueillera une maison de l’Écologie culturelle et proposera un programme d’événements, de performances et d’ateliers tout au long de l’année.

Pionnier pour former des « transitionneurs » capables d’accompagner ou de conduire les transitions sur les territoires, le Campus se démarque par une pédagogie immersive qui investit de manière concrète les nouveaux récits écologiques.

Former notre jeunesse à s’engager n’est pas l’amener ailleurs. Nous n’avons pas besoin d’ajouter une couche supplémentaire à la cacophonie narrative. Nous croulons sous les récits, les histoires, les projections, les évasions fantasmagoriques, publicitaires ou communautaires, et nous sommes devenus aveugles à ce qui nous rassemble. Transitionner, ce n’est pas zapper d’une société à une autre, ni attendre de l’avenir un hypothétique âge d’or, mais mettre en sourdine le spéculatif, l’arbitraire, le hors-sol et apprendre au contraire à activer ce qui prend la mesure du terrestre et du vivant.

Nous avons besoin d’investir les récits habités, les pensées pratiques, les imaginaires performatifs. Nous devons raconter ce que nous vivons et vivre ce que nous racontons. Nos enseignements articulent simultanément dans des expériences écologiques les « trois A » : apprendre, aimer et agir. Quand nous amenons nos étudiants en bateau à voile pendant trois semaines de la Normandie au Danemark, ils entrent dans une connaissance contributive intime et tangible de l’environnement. Barrer suppose d’identifier des repères visuels (nuage, soleil couchant), de sentir le poids du vent et des vagues dans ses mains, de composer à chaque instant avec une saturation des usages (pêche, production d’énergie, tourisme, transport maritime), de comprendre en suivant la côte l’organisation des sociétés, de faire l’expérience physique de notre fragilité, de travailler en équipe. Parallèlement, chaque membre d’équipage mène à bord un projet à fort impact : ramasser des déchets pour produire des mobiliers urbains, mesurer les modifications de la composition chimique de l’eau, embarquer des low-tech dans le carré. Une école en bateau est un « fait pédagogique total » au sens où Marcel Mauss parlait de « fait social total ».

Nous pourrions mentionner d’autres outils : marches du temps profond, diagnostics en marchant, mobilisation de pratiques sportives, initiation à la permaculture. Par un engagement aussi bien corporel que mental, nous permettons à nos étudiants de retrouver des prises avec leurs milieux à travers une forme de vitalisme et de prendre en confiance une succession de décisions en lien avec des représentations simples et concrètes. Ce qui les entoure n’est ni un paysage qui tiendrait de la beauté froide, ni un amas de ressources à exploiter, mais un terreau dont la fertilisation donnera lieu à des possibles aussi durables que sous-estimés.

Les récits écologiques n’ont pas besoin d’être nouveaux : plutôt que de s’étendre infiniment, ils peuvent célébrer le déjà-là, l’insertion, l’éducation au regard, l’attention portée à de nouvelles formes d’intelligence. Ils peuvent exhumer la profondeur des lieux et la place que nous occupons dans leur équilibre. Nous devons apprendre à révéler le trop-raconté, le mal- raconté et le non-raconté. La rencontre permise par une pédagogie immersive est un véritable travail d’ajustement et de recherche du juste écart : ne pas profaner l’esprit du lieu mais y trouver pleinement sa place. Cet accommodement prend du temps et ne peut s’ancrer que par la ritualisation et l’émergence de nouvelles habitudes. Pour faire avec le réel, rien que lui mais pleinement lui, osons renouer avec des récits au plus près du sol.