Et si la publicité nous parlait de sobriété ?

par | Juin 10, 2024 | Idée | 0 commentaires

Image : Lucien Lung/Riva-Press

C’est bien connu, la publicité permet de vendre, de vendre plus, de créer des désirs pour pousser à consommer. C’est en raison de ce mécanisme efficace et bien connu que la publicité est si souvent critiquée comme étant un des moteurs de la surconsommation. La sobriété quant à elle est une forme de modération ou de distance vis-à-vis de la consommation. Elle se définit même comme l’inverse de l’addiction, donc comme une capacité à se passer de tel ou tel produit. Si on parle de sobriété énergétique par exemple, on l’associe à un effort nécessaire pour consommer moins et même pour sortir de notre addiction aux énergies fossiles.

Alors, il y a un paradoxe évident à vouloir réconcilier publicité et sobriété. 

Pourtant ce n’est pas totalement impossible.

La preuve, dès les années 70, si on reprend l’exemple de l’énergie, des campagnes de publicité ont incité les Français à lutter contre le gaspillage. Depuis d’autres campagnes publiques ont incité à une consommation plus responsable dans ce domaine de l’énergie mais aussi dans d’autres domaines comme l’alimentation. Dans le même temps, les mentions obligatoires se sont multipliées : « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé »,  « manger bouger », « un crédit vous engage et doit être remboursé », « l’énergie est notre avenir, économisons la »… Si leur efficacité est sans doute limitée, elles ont déjà le mérite d’exister et d’inviter les consommateurs à une certaine prise de distance.

Mais qu’en est-il des marques commerciales qui nous parlent réellement de limiter notre consommation ? Il en existe quelques exemples. Il y a 8 ans, Heineken signait une campagne très réussie, « moderate drinkers wanted », qui faisait l’apologie d’une consommation modérée et dans laquelle le héros du film refusait une bière de la marque. Depuis, on peut citer la campagne pour Renault Captur qui pendant tout le film montre des situations dans lesquelles on a l’habitude d’utiliser la voiture et où finalement on ne va pas l’utiliser. Le message final « c’est quand même bien de ne pas s’en servir tout le temps » souligne habilement que nos habitudes d’utilisation de la voiture peuvent changer. Troisième exemple, Orange a proposé deux années de suite de mettre à l’honneur son offre de téléphones reconditionnés à l’occasion de Noël. Sur un marché où l’impact est très lié aux téléphones eux-mêmes et à leur fabrication, amplifier la tendance du reconditionné permet de promouvoir une consommation plus responsable.

Ces exemples ne sont pas légion et ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt, quelques goûtes de sobriété dans un océan de consommation débridée. Mais ils sont intéressants parce qu’ils ont marqué les esprits. En jouant sur un paradoxe ou sur un message inattendu, ils sont sortis du lot et ont su capter notre attention. Ils montrent que les techniques de la publicité peuvent être au service d’autres objectifs que ceux qu’on leur prête habituellement. Ils déplacent la limite entre ce que les citoyens acceptent et ce qu’ils refusent, et entrainent toute la communication à être plus responsable. 

Oui la pub fait vendre mais la pub sait aussi épouser l’époque et ses besoins, accompagner ses transformations, changer le regard des gens, modifier les comportements, ringardiser certaines pratiques et créer l’engouement autour d’autres imaginaires. Elle sait aussi susciter le débat comme l’a montré la campagne de l’ADEME avec ses « dévendeurs » qui nous invitaient avant d’acheter à nous demander si nous en avions vraiment besoin, campagne lancée opportunément juste au moment du black Friday.

Le point commun à toutes ces campagnes que nous venons d’évoquer c’est qu’elles traitent de la sobriété ou des sobriétés mais sans utiliser le mot de sobriété. Sans doute à raison car si l’idée est nécessaire le mot peut être clivant. Certains y voient un synonyme de décroissance, d’autres une austérité qui serait imposée à ceux qui font déjà des efforts quotidiens pour boucler leurs fins de mois.

Pour imaginer un monde plus sobre et en faire la promotion, il semble nécessaire de contourner ce mot de sobriété. Trois sources d’inspiration pour traduire l’idée de sobriété en communication et aller au-delà du mot lui-même. 

Tout d’abord, référons-nous à Thomas Princen qui explique dans « The logic of sufficiency » paru en 2005 que dans un monde aux ressources limitées l’attribution des ressources en fonction des besoins de chacun est la seule solution rationnelle et efficace. Cette réflexion nous invite à distinguer besoins et désirs pour revenir dans le cadre des limites planétaires que nous n’aurions jamais dépassé si nous nous étions tenus à ce principe de « sufficiency ». 

Autre source d’inspiration, la tribune de Dominique Méda qui suggère de remplacer le terme « sobriété » par celui de « nouvelles abondances ». Parler de la sobriété sans parler de ce qu’elle nous permet de gagner en termes de liens, de santé, de savoirs,… c’est s’enfermer dans un discours où les citoyens auront toujours l’impression d’être condamnés à y perdre. 

Enfin, et puisque nous sommes aussi dans le monde du visible, terminons par l’injonction de l’architecte Ludwig Mies van der Rohe pionnier du modernisme : « less is more ». Giorgio Armani en a fait sa devise pour exprimer en trois mots la forme la plus aboutie de l’élégance. 

La sobriété peut donc devenir désirable et la publicité peut envisager d’en faire la promotion à la condition qu’elle soit équitablement répartie, qu’elle s’accompagne de bénéfices rationnels et émotionnels et qu’elle coïncide avec une recherche du beau et du bien.

Réconcilier publicité et sobriété est donc non seulement possible mais éminemment souhaitable. Et pour y parvenir avec sincérité, il est nécessaire que la sobriété s’applique à la communication elle-même. Concrètement, les marques et les agences de communication vont devoir s’interroger systématiquement sur l’utilité et l’impact des produits qu’elles mettent en avant pour communiquer plus sur les produits utiles et à faible impact et pour communiquer moins, voire même pas du tout, sur les produits à fort impact. Au nom de ce principe de sobriété, la réduction de la pression publicitaire ne devrait pas être un tabou pour les professionnels surtout s’ils veulent que la publicité continue à être acceptée et appréciée par les citoyens.

Olivier Bailloux
Directeur du planning stratégique de Saatchi & Saatchi
Participant de la 1ère Convention des Entreprises pour le Climat