Musicien, auteur, conteur et témoin de son époque, Fayçal Belattar s’intéresse aux harmonies possibles entre l’humain et son environnement, toujours en quête de leçons tantôt données par ses voyages en Afrique de l’Ouest, tantôt par les Anciens. Raconter « le souffle des Anciens » est pour lui une manière de les faire revenir, différemment, pour apprendre d’eux et de leurs vies harmonieuses.
Durant notre tournée en Algérie, Fayçal nous a partagé deux initiatives auxquelles il a pu prendre part. Ces actions témoignent d’une écologie qui s’incarne avant tout dans la culture locale et immédiate des personnes concernées.
Les Conteuses du Maghreb: actrices du changement pour la Préservation de l’eau
« Les gardiennes de l’Eau » est un programme qui, entre 2017 et 2022, s’est intéressé à faire converger les problématiques environnementales avec celui des droits des femmes, d’abord au Maghreb puis dans tout le Moyen-Orient.
L’ action prend place dans des régions à très forts stress hydriques, où le poids politique des femmes est limité, notamment dans la gestion locale de l’eau, question éminemment importante pour ces communautés. Dans ces régions, le partage de l’eau repose sur des systèmes d’irrigation traditionnels pluri centenaires collectifs où les femmes sont souvent exclues des prises de décision.
En Algérie, on les appelle les foggara, et ils possèdent un nom différent dans chaque région. C’est ce qu’on appelle le qanat, un système traditionnel d’irrigation souterrain utilisé dans les régions arides pour acheminer l’eau depuis les montagnes jusqu’aux zones agricoles en contrebas. Ce système ingénieux consiste en une série de tunnels souterrains creusés à flanc de montagne pour intercepter les sources d’eau souterraines, puis canalisant cette eau vers les zones d’irrigation grâce à une série de puits. La gestion de ces systèmes d’irrigation est aussi ancienne que les canaux eux-mêmes. Ils constituent un exemple typique de ce qu’on appelle gérer un bien (en) commun. Ni privés, ni publics, les « tours d’eau » et la participation à l’entretien des infrastructures ne reposent ni sur le marché, ni sur l’Etat : c’est la gestion en commun qui assure la durabilité de la ressource ! On voit donc que l’eau n’est un bien commun qu’à partir du moment où il y a une gestion en commun. Décréter que l’eau est un bien commun en soi ne suffit pas : il faut, comme les Gardiennes de l’Eau, s’organiser pour que cela se traduise dans les faits.
L’objectif de ce projet a en effet été de monter des petits groupes de femmes, de tous les âges, afin de les rendre capables de s’organiser collectivement et d’acquérir ainsi du pouvoir dans leur communauté par la gestion de l’eau. Pour ce faire: des formations et des ateliers sur la création d’associations, les enjeux de l’eau mais aussi sur la prise en parole en public, des initiations à l’art du conte, des ateliers d’écriture etc… Le postulat défendu par Fayçal est ainsi d’encapaciter les personnes par un action culturelle. Ensemble, elles ont rassemblé les vieilles histoires et autres contes traditionnels locaux qui traitent de l’eau. Ces morceaux de culture orale concentrent les bonnes pratiques ancestrales à adopter pour préserver cette ressource vitale. Ce travail leur a permis de mieux les comprendre et ainsi de les remettre en valeur.
Après avoir récolté les contes ancestraux, les femmes ont écrit lors d’ateliers leurs propres récits oraux, avec leurs propres bonnes pratiques concernant la gestion de l’eau. De ces travaux collectifs sont sortis un album enregistré par les femmes, un recueil de contes et un documentaire. Ces médiums ont pu être présentés par les femmes elles-même dans nombre d’écoles, auprès des jeunes publics, mais aussi dans des salons du livre, en Afrique du Nord mais aussi en Europe, pour sensibiliser aux enjeux conjoints de l’eau et des droits des femmes. Pour écouter les contes et en savoir plus sur le projet, c’est par ici !
Raconte-Arts : un festival itinérant de contes et d’arts de rue en Kabylie
La deuxième illustration d’une écologie culturelle algérienne prend cette fois racine en Kabylie. Le Festival des Raconte-Arts, depuis 16 ans déjà, intègre depuis son origine une identité écologique et citoyenne. Ce festival, qui met à l’honneur art du conte et arts de rue, prend racine dans un territoire particulier. Les villageois.e.s de la grande Kabylie cultivent une fierté et un sentiment d’appartenance très fort à leur territoire riche en forêts, parcs protégés et oliveraies. C’est une région d’une beauté rare qui a su se préserver d’un tourisme massif, de par la difficulté d’accès à son pays. Conscient de ce souci de préservation de la culture et des paysages locaux, ce festival propose à ses festivalier.e.s « étrangers » un tourisme véritablement responsable, avec une jauge à taille humaine (400 personnes environ) et un fonctionnement singulier.
Le Festival des Raconte-Arts est un festival itinérant qui se déplace chaque année de village en village, selon le choix d’un jury selon des critères bien précis: le village hôte doit être élu le village le plus propre de toute la Kabylie. Depuis 2015, le collectif qui accompagne les villages hôtes pour préparer de manière propre et écologique l’accueil des festivalier.e.s (installation de bacs de tri, utilisation uniquement des matériaux locaux, pas d’achats de lumières ou d’infrastructures dédiées…) propose même un système de recueil et de valorisation des déchets du village et du festival. Si l’on résume, un festival vertueux pour les habitant.e.s comme pour les festivalier.e.s, qui améliore les conditions de vie locales, tant sur le plan culturel que sur les conditions de vie concrètes.
Se soucier des gens c’est se soucier de l’environnement
Ces initiatives illustrent le fait que penser l’écologie sans la culture, ou les problèmes de ressources sans la justice sociale ne fonctionnent pas. Régler les problèmes de la communauté grâce à la résolution des problèmes environnementaux est l’enjeu principal des politiques à mener tant à l’échelle locale qu’internationale. Pour ce faire, partir et forger de la culture commune autour de valeurs « durables » (moins de biens, plus de liens par exemple) est nécessaire pour résoudre à la racine la crise du siècle. La notion d’encapacitement apparaît donc centrale pour que les personnes se saisissent par elles même de ce qui les concerne. Les politiques publiques descendantes d’experts n’ont aucune chance de résoudre l’ensemble du problème actuel. Notre système actuel tend à nous infantiliser, alors que nous avons besoin de nous encapaciter pour relever les défis d’épuisement des ressources et de changements climatiques. Redonner du pouvoir politique aux gens sur leur propre territoire, sur les choses qu’ils consomment et qu’ils produisent, est une condition essentielle si nous voulons conserver une terre vivable tout en accroissant notre bonheur !