L’écologie est traitée médiatiquement dans les termes presque exclusifs d’un présent siphonné par la pression de l’urgence ; elle en devient donc anxiogène. Oui, il y a de quoi être anxieux : destruction des ressources, changement climatique galopant, manifestations incessantes pour un changement de structure économique, etc. Mais cette fuite en avant est-elle efficace pour produire le changement que nous souhaitons ?
Nous plaidons ici pour une “écologie en 3D”, ces trois dimensions qui associent présent-passé-futur, plutôt qu’une écologie à deux vitesses : le présent fondu ou aggloméré à un futur anxiogène.
L’humain privilégie la stabilité au changement. Cette stabilité lui permet de se situer, et d’évoluer dans le cadre rassurant de règles précises et logiques. Le récit personnel et le récit collectif peuvent alors s’articuler harmonieusement, et faire sens. L’un des rôles essentiels de la culture est précisément de fédérer le récit personnel et le récit collectif, pour fabriquer de la société.
L’erreur majeure de l’écologie est de se placer en rupture temporelle. Elle paraît tombée du ciel depuis quelques années, s’appuyant sur des données inattendues, acculant des humains dénués de solutions. Être acculé au présent, c’est la sensation de manquer d’outils efficaces et de subir l’action. Être acculé au futur, c’est s’échapper d’un monde présent insatisfaisant. Être acculé au passé, c’est la mort de la créativité. Le futur ne se construira donc qu’en réconciliant les trois temps réunis, présent-passé-futur, dans une conscience plus forte du rôle respectif de chacun. Le présent sera l’héritier, le dépositaire et le novateur du moment.
L’anxiété a par ailleurs une vertu hypnotique qui conduit à développer un langage et un comportement unilatéral et répétitif. La lutte pour le climat devient un jeu de rôles bien huilé, les gentils contre les méchants, Robin des Bois contre les bûcherons, la science contre l’inconscience climatique, etc. D’avance on en connaît les arguments, de part et d’autre. Or la réalité incontestable des enjeux ne doit pas masquer qu’il faut aussi faire évoluer l’argumentaire, sortir des autoroutes usuels de la pensée écologique, pour multiplier et diversifier les directions. Il est urgent de développer une véritable “biodiversité de pensées” qui préside à l’écologie. Une richesse culturelle vive, ne se satisfaisant pas de poncifs qui seraient a priori éternels. Car plus que jamais c’est l’ingéniosité non seulement technologique, mais aussi les facultés à se projeter dans un autre type de société qui sauveront l’humain. Et le tout doit s’intégrer dans un récit culturel qui soit viable, et nous insistons sur ce point nécessairement positif.
Pourquoi ? C’est que dans le climat d’auto-hypnose actuelle, et face au péril, notre cerveau peine à intégrer émotionnellement les données alarmantes de l’écologie. Par mesure de précaution, il s’aveugle pour se rassurer. Il préférerait imaginer un monde prétendument stable, et vivre malgré tout. Quand l’humain perd ses repères, il se sent perdu. Il lui faut alors soit fléchir, soit inventer. La société a donc besoin d’inventeurs sur les terrains artistique, politique et technologique pour s’adapter, tout autant que d’archivistes ! Les archéologues du temps et de l’esprit ont-ils plus d’avenir qu’on peut le croire ? Les mouvements conjoints de la paléontologie, de la généalogie, de la génétique, de la psychologie; l’analyse de la chimie du cerveau semblent le prouver. Ces historiens du vivant développent une histoire qui jette des lumières immédiates sur le présent. Ils nous éclairent sur nos ancêtres, sur nos propres mécanismes physiques et psychiques, pour inspirer l’évolution de la société.
Liberté-Egalité-Fraternité : les théories de Jean-Jacques Rousseau sur le droit-naturel ont donné naissance aux critères de Liberté et d’Egalité par nature, fondateurs de notre République. La ZAD d’artistes de la forêt de Fontainebleau au XIXème siècle, menée par George Sand et les peintres de Barbizon est à l’origine du premier espace naturel protégé au monde, dès 1861. Jean de La Fontaine puis Victor Hugo ont lutté pour la cause animale… Les jeunes générations sont donc légitimes dans leurs revendications. Elles défendent à la fois le climat, et aussi le riche héritage de notre culture, qu’il nous appartient maintenant de reprendre en main.