Comment former des ingénieur.e.s à l’écologie culturelle?

par | Oct 3, 2023 | Idée | 0 commentaires

La Presqu’île de Caen au prisme de l’Écologie culturelle

Le Campus des Transitions de Caen s’est vu investi par soixante-dix étudiant.e.s de l’Ecole des Ponts ParisTech. Pendant deux jours, ces futurs ingénieur.e.s du corps des Ponts, des Eaux et des Forêts mais aussi des Architectes des Bâtiments de France ont découvert, entre théorie et pratique, ce qu’est l’Écologie culturelle et en quoi elle pourrait leur être utile dans leurs professions. 

Le début de cette immersion s’est concentré sur une compréhension approfondie, grâce à des discussions autour des trois Manifestes de l’Écologie culturelle et aux interventions des fondateurs du mouvement: Patrick Scheyder (pianiste), Pierre Gilbert (prospectiviste) et Nicolas Escach (directeur du Campus en question). 

Pour donner vie à la réflexion, la formation s’est articulée autour d’un cas pratique : le projet de réhabilitation mené par la mairie du quartier de la Presqu’île, site industriel historique située en aval de la ville, à 11km des côtes et coincé entre l’Orne et un canal achevé en 1850. Après une décennie de planification impliquant urbanistes, architectes, promoteurs et maîtres d’œuvre, le projet a été abruptement interrompu en juin 2023. Pour cause: une étude hydraulique commandée pour vérifier les conséquences du réchauffement climatique sur la montée des eaux locales. Selon cette étude basée sur les dernières projections du GIEC à l’horizon 2050, les futurs habitant.e.s des 2500 logements prévus auraient les pieds dans l’eau jusqu’aux genoux, pendant 2 heures et tous les 3 jours en moyenne! Apprenant cela, la mairie décide d’interrompre immédiatement le projet en commandant une étude hydraulique plus poussée, tout en changeant radicalement de cap… Réalisant que la montée des eaux allait, de manière certaine, être plus importante que prévue et ce sur le très long terme (plus de cent ans), les élu.e.s  souhaitent tout de même investir la zone en question. Au programme: un urbanisme réversible pour les prochaines dizaines d’années, au service de la renaturation et de la dépollution des lieux.

Vue d’ensemble de la Presqu’Île de Caen. Source: caen-presquile.com

Quel rapport avec l’écologie culturelle?

En interrogeant les acteurs de ce projet, mais aussi les voix des habitant.e.s de la Presqu’île, les étudiant.e.s ont pu mettre en résonance la notion d’écologie culturelle avec le contexte local. « Notre cadre de pensée a dû changer », explique un des fonctionnaires en charge du projet: « on passe d’un cadre déterminé et fixé à un cadre de pensée qui ne se repose que sur l’incertitude et l’adaptation permanente». La crise écologique les a forcés à changer de manière d’aménager, pour dorénavant mieux se concentrer sur les existants plutôt qu’une quête incessante de nouveaux projets. Proposer un futur juste et viable au quotidien pour les caennais.e.s exige de nouvelles manières de faire et de nouveaux outils. La piste principale pour ce projet? Une action politique décloisonnée qui s’articule autour de la culture et des artistes locaux. 

Les artistes du lieu culturel le Bazarnaom, qui depuis la pandémie se sont distingué.e.s de par leur action sociale dans le quartier, seront associé.e.s à un groupement scientifique. Ensemble, leur objectif est de mettre en place des aménagements “art-science” autour de l’Eau, et ainsi investir les zones concernées par l’ancien projet immobilier. Les habitant.e.s-artistes du Bazarnaom cohabitent déjà avec les personnes qui déjà vivent sur le lieu « à aménager »: demandeur.euse.s d’asile, travailleuses du sexe…etc. Des désaccords fertiles sont alors incontournables entre les élu.e.s et les artistes pour trouver un compromis souhaitable pour tous les partis. Ici, le travail de terrain des étudiant.e.s a dévoilé l’importance de la culture et de l’art comme « lubrifiant social »: l’art et la culture pour se rencontrer, pour parler du futur du quartier, rendre visible des publics délaissés par les politiques publiques, ou encore pour traduire les projections scientifiques en messages digestes et ludiques pour le grand public… 

Quel bilan pour la formation?

Après le terrain, les étudiant.e.s ont été invité.e.s à faire les liens entre théorie et pratique, et tirer leurs propres conclusions sur l’Écologie culturelle. Cette dernière est identifiée comme une force permettant le rassemblement des disciplines et des professionnels qui autrement ne se parleraient pas. L’écologie culturelle crée des espaces de dialogues entre les publics pour aborder des thèmes jusqu’alors réservés à des experts. Cette approche est par essence expérimentale, populaire et démocratique. Pour ce faire, partir de la culture locale est indispensable pour toute action écologique qui veut s’implanter durablement. Les outils de concertation, co-construction et de décloisonnement dans les manières de travailler sont au cœur de ces démarches qui ne font que traduire un “penser global, agir local” incontournable.

Notre équipe voit donc beaucoup de potentiel dans l’enseignement sur le terrain de ce qu’est l’écologie culturelle. Par la transmission, le débat et les expérimentations nous souhaitons continuer de former les étudiant.e.s et professionnel.le.s sur l’Écologie culturelle, et ainsi les outiller d’une approche rafraîchissante et nécessaire à la réussite des « transitions » à mener!