De nos racines à nos engagements

par | Juin 21, 2023 | Idée, Uncategorized | 0 commentaires

Par Nicolas Escach, directeur du Campus des Transitions (Sciences Po Rennes à Caen)

Et si nos engagements puisaient leur force de nos racines ?

La transition qui nous attend sera nécessairement située, amarrée, fondée sur des assises stables et inspirantes. Elle ne peut que naître de la connexion retrouvée avec les territoires face à des sociétés gagnées par le hors-sol, la déréliction, le culte de la vitesse et de l’éternel présent.

Faire porter le combat écologique de l’adolescence à la maturité suppose de lui redonner de la profondeur historique et de réconcilier passé-présent-futur dans une même bascule en trois dimensions.

« Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » disait René Char. L’âge adulte de l’engagement, c’est l’héritage et le testament.

Il n’y a pas d’un côté des engagements vivants et de l’autre des racines mortes. Le mouvement n’est pas que du côté des engagements : il définit aussi les racines.

Nos engagements, comme nos racines, ne sont pas un donné mais un construit. L’expression « prendre racine » est en cela très éclairante.

Les racines, ce sont les lieux de notre enfance, nos ancêtres, les terreaux d’émancipation et de découverte de soi mais ce sont tout autant les lieux trouvés ou retrouvés, haut-lieux ou espaces de banalité, que nous choisissons d’aimer et dans lesquels s’immiscent nos géographies individuelles et collectives.

Les racines donnent à nos engagements de la conséquence. Sans elles, ils resteraient des graines non germées, une belle promesse sans impact et sans pénétration.

Puiser dans nos racines a cinq vertus :
– Cela inscrit nos engagements dans des itinéraires de sens les liant à des échelles biographiques et à des récits collectifs ;

– Les racines rendent d’autre part nos engagements plus tangibles et plus concrets mettant à nos dispositions des ressources et des outils à portée de main et nous permettant de renouer avec l’envie et la capacité d’agir ;

– Les racines, par un rapport plus étroit au territoire, nous invitent aussi à nous engager « avec » et non « contre », à intégrer positivement dans nos prises de position, d’action ou de parole celui qui semblait un bouc émissaire tout trouvé. Une fois les mots prononcés ou les gestes élancés, il aura encore besoin de nous et nous aurons encore besoin de lui puisque nous cohabitons ensemble ;

– Les racines nous impliquent émotionnellement, intuitivement, sans même s’en apercevoir, elles adoucissent l’anxiété, partagent la responsabilité sans la diluer, brisent le sentiment de solitude et de nostalgie ;

– Enfin, les racines apportent à nos engagements de la profondeur, à rebours de l’arbitraire de nos économies, de nos habitudes et de notre rapport au monde.

Nos engagements dessinent une terre que nos racines rendent fertiles.

Partout, nous voyons pousser des professionnels de la contestation dans les ZAD, sur les réseaux sociaux, à longueur de clips, qui embrassent une cause comme ils en embrasseraient une autre. Un jour à Bretignolles-sur-Mer, le lendemain à Notre-Dame-des-Landes. D’où parlent-ils ? Comment espérer transformer le monde si nous ne sommes pas intimement ébranlés ?

Dans la toute maîtrise et la toute consommation, nous sommes devenus robotiques et nos engagements égotiques, mécaniques, puérils et inorganisés nous ressemblent.

Il y a une autre voie que la loi infantile du Talion. Nos engagements peuvent être une source de réconciliation et de soin avec nos corps, les autres et le vivant.

Le plus grand défi qui nous attend est d’apprendre à habiter, de retrouver le commun et l’hospitalité. Parce que les racines immanquablement se rejoignent, se nourrissent et se mélangent. Parce que la hauteur des cimes est proportionnelle à la profondeur des racines.