« Entrer en écologie n’est rien d’autre qu’entrer en citoyenneté »

par | Jan 26, 2024 | Idée | 0 commentaires

Nicolas Escach est revenu sur les racines du réseau des Maisons de l’Écologie Culturelle lors de sa prise de parole à Muttersholtz dans le cadre de l’inauguration des « Synergies ». Il est directeur du Campus des Transitions de Sciences Po Rennes à Caen et Co-fondateur des Maisons de l’Écologie culturelle.

Son Intervention :

« Très heureux d’être à Muttersholtz, dans la commune qui a créé l’une des premières maisons de la nature et qui fut capitale française de la biodiversité en 2017. Vous êtes une référence nationale pour la gestion de l’eau, la restructuration des micro-habitats, la création de circuits-courts énergétiques, la conciliation des activités agricoles avec les enjeux écologiques ou encore l’éducation à l’environnement.

« Les Synergies », quel mot parfait pour parler d’écologie culturelle. Du grec « synergos », synergie signifie « travailler ensemble », concourir, en se coordonnant, à une aspiration plus noble, dépasser ses propres limites pour construire un destin collectif, renouer en somme avec notre « appétit de citoyens ».

Entrer en écologie n’est rien d’autre qu’entrer en citoyenneté.

Connaître la nature, c’est s’inscrire dans notre Nation et dans nos territoires. Connaître la nature, c’est prendre soin de nous-mêmes et de nos racines. Connaître la nature, c’est sortir de la confusion et gagner en maturité. À 30 kilomètres d’ici, à Ottrott, depuis 1989, chaque jeune couple associe sa relation naissante à la plantation et à la naissance d’un arbre pour que « la légèreté de son feuillage et la force de ses racines soient le fidèle miroir de leur destinée commune ». Une prière de l’arbre est même affichée sur le bord du sentier conduisant au Mont Sainte-Odile.

« Je suis le bois de ton berceau, la chaleur où cuit ton pain, la table familiale, la charpente de ta maison, le lit dans lequel tu dors, le manche de la houe, les planches de ton cercueil. Je suis l’air pur, la beauté, l’eau des nuages et des sources. Je suis l’ombrage aussi lorsque brûle le soleil d’été. Je suis le pain de la bonté. Je suis la croix du Christ. Écoute ma prière. Respecte-moi. Aime-moi ».

Impossible de tisser un nouveau pacte avec le vivant sans le connaître et sans l’aimer. Apprendre-Aimer-Agir sont les trois brins indispensables de la bascule écologique.

Oui, mais par où commencer ? Comment s’y prendre ? Vers qui se tourner ? Nous vivons une époque marquée par la désorientation et l’impasse. Nous avons perdu la vision, la direction, le sens et les repères. Nous sommes écrasés par l’anxiété et par le manque de confiance. Nous vivons des vies individuelles qui s’accélèrent mais peinent à se rencontrer.

Il nous faut atterrir. Il est temps de faire société avec le vivant. Là est le vrai progrès et le nouvel humanisme. Déjà, les collectivités agissent à travers divers politiques publiques :

  • L’aménagement de sentiers urbains et métropolitains à Marseille, Avignon ou Caen ;
  • La reconnaissance des objets naturels tels que les fleuves, les rivières, les zones humides, les montagnes, comme porteurs de droit à l’instar du Parlement de la Loire à Tours ;
  • La préservation des ceintures agricoles et la replantation des haies ;
  • La renaturation et la restauration écologique des écosystèmes les plus abîmés ;
  • L’établissement d’atlas de la biodiversité et de cartes subjectives à l’échelle des quartiers ;
  • La nomination, parmi les habitants, de « veilleurs du vivant », de « gardiens des sentiers », de « sentinelles de la biodiversité », de « compteurs d’oiseaux », de « nez au service de la qualité de l’air » ;
  • La mise en place d’un programme éducatif et artistique autour de l’écologie ;
  • L’établissement de nouveaux rituels ou d’un imaginaire climatique ;
  • La mise en dialogue entre patrimoine bâti, patrimoine immatériel et patrimoine naturel ;
  • La reconnaissance du rôle historique des entités naturelles remarquables ;
  • L’exploration de nouveaux fronts d’innovation par le biomimétisme.

 Les Maisons de l’Écologie culturelle sont une boussole et un cap dans un moment où nous quittons nos anciennes habitudes sans avoir encore assis nos nouveaux repères.

L’éco-lieu du Laring, Maison de l’Écologie Culturelle

Cinq outils y sont mobilisés :

  • La célébration. Partir de la joie, des sentiments, des sensations pour s’émanciper et s’engager. À l’image du collectif de danse Minuit Douze, choisir la liberté du mouvement pour fédérer autour de l’écologie et réparer nos corps meurtris par l’Anthropocène.
  • L’expérience. S’immerger pour faire unité avec son environnement. Apprendre à nouveau à habiter. Connaître l’altérité des plantes, des animaux et trouver sa place dans l’équilibre qui nous entoure.
  • Le décloisonnement. Rassembler les disciplines, les intelligences, les trajectoires, les personnalités, les générations.
  • L’imagination. Activer ou réactiver des nouvelles manières de dialoguer, d’écouter, d’aménage ou de ménager, de rompre, de démanteler. Les transitions ne sont pas un but à poursuivre mais une méthode à éprouver.
  • L’artisanat. Pour que nous nous sentions acteurs et que nous mesurions notre prise concrète sur l’avenir. Pour rétablir des échelles à hauteur d’hommes et des sociétés nées de leurs mains.

Les Maisons de l’Écologie culturelle représentent tout à la fois :

  • Un réseau national dont les activités sont relayées sur un site internet et dans une newsletter ;
  • Une plateforme de création et de diffusion pour des artistes, chercheurs, artisans, nouveaux activistes, enseignants ;
  • Des lieux d’émergence d’une pensée pratique à travers des manifestes, des tribunes, des performances, des actions civiques et citoyennes ;
  • Des espaces de veille et d’expérience traduisant la diversité des territoires, de leur taille, de leur localisation, de leur histoire et de leur géographie.

André Malraux souhaitait par la création de Maisons de la Culture en 1961 que « n’importe quel enfant de seize ans, si pauvre soit-il, puisse avoir un véritable contact avec son patrimoine national et avec la gloire de l’esprit de l’humanité ».

Il souhaitait alors :

  • Une diffusion de la culture sous toutes ses formes ;
  • Un mouvement de décentralisation culturelle ;
  • Rendre accessible la culture à tous et notamment aux classes populaires.

Nous avons besoin, face à des défis sans précédents, de réactiver cet « appel de Malraux ».

Comme après la Seconde Guerre mondiale, nous entamons une reconstruction. Il nous faut :

  • Faire société par une écologie culturelle diverse et biodiverse ;
  • Fonder la bascule écologique sur la diversité des territoires, leurs ressources et sur la fierté de leurs habitants ;
  • Soutenir et promouvoir l’écologie populaire pour fédérer au-delà des plus convaincus.

En 1966, André Malraux déclarait « religion en moins, les maisons de la culture sont les modernes cathédrales : le lieu où les gens se rencontrent pour rencontrer ce qu’il y a de meilleur en eux ».

Je suis sûr que cette phrase résonne particulièrement dans une ancienne synagogue et dans une région où le dialogue interconfessionnel a été très fort et fera pour longtemps des Synergies une ambassadrice de l’Écologie culturelle. »

Nicolas Escach