Faut-il passer par les institutions culturelles pour faire de l’écologie?

par | Déc 7, 2023 | Idée | 0 commentaires

L’Écologie culturelle prépare une tribune à paraître dans Le Monde, « Les Musées à l’heure de l’écologie », co-signée par de nombreu.x.ses directeur.ice.s de Musées français. Le message y est clair: « Les   collections   des   musées   doivent   pleinement   jouer   leur   rôle   dans   le   débat   écologique, comme passeurs de sens ou source d’inspiration ». Prenons le temps de la réflexion et questionnons-nous sur ce que nous défendons: que le monde de la culture, aussi institutionnalisé soit-il, se saisisse pleinement des enjeux écologiques. Tombe-t-on nécessairement dans un greenwashing culturel quand des grandes institutions comme les musées commencent à s’emparer de l’enjeu écologique? Faudrait-il éviter les musées pour faire de l’écologie culturelle? 
 

Commençons par l’option la plus facile: celle qui montre que l’écologie se situe en dehors des musées. Ces derniers seraient plutôt du côté d’un vieux monde cloisonné où les collections « sous cloches », certes démocratisées, restent éloignées de la marche du monde. On peut aussi penser que les grandes institutions culturelles seraient aussi en partie complices de la situation écologique. En fonctionnant comme des « cautions sociales » pour les grandes puissances économiques privées destructrices du Vivant, elles peuvent alimenter par un certain système philanthropique l’inaction écologique. 

Il semble ici pertinent de raconter brièvement la houleuse mais fertile collaboration du collectif d’artivistes « The Laboratory of Insurrectionary Imagination » (TLII) avec le Tate Muséum de Londres. Après avoir invité les artivistes à participer à un projet d’ateliers intitulé « La désobéissance fait l’Histoire », le musée précise dans un mail que le Tate ne peut accepter de leur part de critiques dirigées contre eux où leurs sponsors financiers. En voilà une belle perche tendue aux artistes, sachant que le géant pétrolier BP est un mécène historique du musée. A l’issue d’un premier atelier où les participant.e.s décident de désobéir à la consigne du Tate, l’institution leur demande de ne pas franchir cette limite. Malgré cette censure, les étudiant.e.s activistes, en créant un collectif « Libertate Tate » (Libérez le Tate), effectuent alors une série d’actions de désobéissance au sein du Musée, demandant la fin du partenariat avec BP. En suspendant à des ballons d’hélium des carcasses de poissons après une marée noire historique dans le Golfe Mexique qui venait d’avoir lieu, en répandant de la mélasse lors d’une célébration d’anniversaire du partenariat de entre BP et le Tate, le musée se retrouve coincé par ses contradictions. Face à des activistes qui n’ont pas peur de perdre le prestige lié au partenariat avec le musée londonien – contrairement aux artistes classiques – ce dernier n’a pas su réagir. Après 26 années de mécénat, BP a mis fin au partenariat avec le musée, sous pression des artivistes. 

Morale de l’histoire:  l’artivisme fonctionne! Mais ce récit, raconté brillamment par l’activiste John Jordan (dans cette vidéo), montre aussi que pour les musées, apparaître comme complices d’inaction climatique va devenir un problème de plus en plus important. Le thème écologique progresse dans la société, et il est de plus en plus difficile pour les musées de ne pas se positionner clairement. Les grosses institutions culturelles sont parfois perçues par les écologistes comme complices d’un système productif et culturel qui défend le statu quo et l’inaction. Leur forcer la main et imposer un nouvel agenda culturel, par une critique extérieure, semble donc nécessaire pour voir advenir une véritable écologisation de la Culture avec un “C” majuscule.
 

Mais d’un autre côté, difficile d’imaginer un changement significatif dans le monde culturel sans y impliquer ses plus grosses institutions structurantes. Fermer le dialogue serait impensable et contre-productif. Les confronter « de l’extérieur », par de l’activisme comme l’illustre le cas du Tate, apporte certes un sursaut de conscience, mais cela ne suffit pas. En plus de confronter, l’activisme doit désormais savoir construire une alternative culturelle, pour et avec le système qu’il combat, s’il veut embarquer les masses et arriver à ses fins.

De plus, les actualités culturelles semblent montrer qu’une multitude d’individus au sein des institutions culturelles sont déjà prêts et veulent changer la donne. En témoignent les initiatives des grands musées comme les expositions du Centre Pompidou, pour saisir les enjeux liés à l’Anthropocène et au Vivant, la nouvelle programmation événementielle du Musée d’Orsay ou notre tribune du Monde à paraître. Nombre d’artistes, de galeries, de compagnies et de lieux de diffusion bourgeonnent depuis quelques années pour mettre au devant de la scène les enjeux écologiques. Nous croyons en la complémentarité entre les acteurs de la culture plus traditionnelle et des activistes. Des dialogues doivent s’ouvrir autrement que par des soupes projetées contre des tableaux de maître. Exclure totalement les institutions n’a pas plus de sens stratégique que d’être hermétique aux revendications légitimes des activistes. Un mouvement de fond semble naître. Oeuvrons à l’amplifier et à le pérenniser grâce aux pouvoirs des musées!