Le Bazarnaom: une ZAD douce à Caen?

par | Oct 5, 2023 | Idée | 0 commentaires

C’est quoi ce bazar?

Depuis 2020, les vieux hangars du Bazarnaom sont devenus un lieu incontournable de  l’ex-quartier industriel de la Presque-île caennaise. Pendant la pandémie, le collectif local déjà vingtenaire et issu principalement du spectacle vivant aménage d’anciens hangars abandonnés en « faux » studios de cinéma enchantés. De fausses rues et de fausses façades tout droit sorties d’un studio holywoodien dévoilent des espaces et des outils de travail mutualisés au service des artistes. 

En visitant ce lieu à mi-chemin entre les studios de Jacques Tati et un ancien cirque fantastique, force est de constater qu’un travail immense a été réalisé avec très peu. Les matériaux sont de seconde main, la construction par des bénévoles accompagnés de professionnel.le.s du décor. Ce lieu sert principalement de résidence d’artistes, avec une scène de répétition, un ancien “bal monté” revalorisé et souvent ouvert au public. 

La structure peut se vanter d’un fonctionnement horizontal et démocratique, où les bénévoles d’un jour comme de 10 ans travaillent pour défendre ce qu’ils et elle appellent les « droits culturels« . Cette approche cristallisée par la Déclaration de Fribourg (2007) qui institue une vision de la Culture comme droit naturel et fondamental, pour garantir à chacun.e une liberté d’identité culturelle. Pour en savoir plus, cliquez ici.

Le Bal monté accueille résidence d’artistes et spectacles ouverts aux caennais.e.s ! ©Bazarnaom.com

Habiter un nouveau quartier: tout un art!

Depuis leur emménagement sur la Presqu-île de Caen, le collectif a pris une place importante dans cet ancien site industrialo-portuaire. Des travailleuses du sexe mais aussi des demandeurs d’asiles habitent depuis plusieurs années le voisinage directe de ce nouveau lieu culturel, mais restent trop souvent invisibilisé.e.s. Depuis leur arrivée, le collectif n’a cessé de renforcer les liens avec ces habitant.e.s pour qui la pandémie a été extrêmement difficile à vivre. L’entraide quotidienne et la mise en place de distribution hebdomadaire de repas, toujours d’actualité, n’a cessé d’alimenter ce soin mutuel. 

Le projet Presque Nous cristallise ce désir de rencontrer et d’améliorer son territoire et ses occupant.e.s déjà-là.  Presque Nous, c’est une fabrique culturelle lancée par le Bazarnaom et les Ateliers Intermédiaires, qui depuis 3 ans rassemble des résidences d’artistes autour d’une expérimentation pluridisciplinaire sur le quartier de la Presqu’Île. Autour des thèmes de la trace, mais aussi de la mémoire, d’habiter un territoire, et de la question de l’art dans l’espace public, cette expérience sensible prend plusieurs formes. Les différents travaux des artistes sont alors autant de traits dessinant un portrait du quartier avant les grands projets d’aménagement à venir. Il s’agit de rendre hommage, documenter, mais aussi expérimenter et dessiner avec les existants ce que pourrait être le futur de ce territoire unique. 

Concrètement, Presque Nous c’est des images, des dessins, des inventaires, des témoignages audios, des vidéos, du slam, des installations, des spectacles… tout ça pour questionner à plusieurs voix le passé, le présent et le futur d’un territoire en pleine mutation. Pour en savoir plus et découvrir les oeuvres effectuées dans le cadre de ce projet, cliquez ici ça vaut vraiment le détour !

Une ZAD douce?

Après 20 ans d’existence, le collectif bénéficie d’une très grande légitimité locale, tant auprès du voisinage qu’auprès de la municipalité. Leurs liens avec cette dernière se sont tissés progressivement, sans évincer une conflictualité et des désaccords jugés fertiles. Leur posture est claire: leur relation avec les pouvoirs publics est une co-construction de l’intérêt général, et leur radicalité est utile pour trouver des compromis constructifs. 

Ce lieu représente à nos yeux une “ZAD douce”, c’est-à-dire la concentration dans un lieu de propositions politiques radicales qui visent à “faire tâche d’huile” à long terme, et tout en gardant le sens du compromis et de l’inclusion. C’est un lieu de résistance et de défense culturelle du quartier, avec toutes ces réalités, aussi désagréables soient-elles. Cette lutte pour visibiliser le déjà-là est source d’un rapport de force constructif avec le politique dans un objectif explicite de trouver un langage commun pour défendre et prendre soin de la chose en commun: le territoire et ses gens.

Reste à savoir à quoi ressemblera le quartier après le nouveau projet de la municipalité. Au programme: une renaturation et une dépollution du site, accompagnée d’infrastructures culturelles et artistiques autour du thème de l’eau. Le Bazarnaom est inclus dans le projet de réhabilitation, et nous espérons fortement voir leur “patte” dans les futurs aménagements…

Clément Descarrega