Souvent dans mes interventions publiques, on me pose la question de mon rapport à l’écoanxiété et à « l’effondrement ».
On attend généralement que je réponde « oui car tous les indicateurs sont dans le rouge », ou « non car il y a des solutions techniques, basées sur la nature… ».
Dans l’esprit de qui pose la question, c’est un peu comme si ne rien faire signifiait mécaniquement l’effondrement de la civilisation thermo-industrielle à cause du changement climatique d’ici quelques années.
En fait, cette manière de percevoir l’effondrement est selon moi le fruit de deux imaginaires. L’imaginaire Hollywoodien type Mad Max qui montre toujours un système politique dégradé dans les scénarios futuristes, et jamais de systèmes politiques meilleurs. L’imaginaire des ingénieurs « thermodynamiciens » type Jancovici où tout est implacablement l’effet de flux, de produit en croix et d’exponentielles.
Dans ce double imaginaire, l’effondrement est forcément une conséquence des disruptions opérées par le changement climatique/raréfaction des ressources sur notre société basée sur les fossiles, dont on démontre par A + B à quel point elle est peu résiliente.
En fait, cet imaginaire est très présent chez tous ceux qui s’intéressent au climat, et a fortiori chez les plus jeunes. Les mauvaises nouvelles climatiques qui s’accumulent donnent le sentiment que le mur se rapproche à grande vitesse.
Cet imaginaire semble basé sur les sciences, logique, donc inéluctable. Il est donc facteur d’une profonde impuissance, donc d’une grande écoanxiété. En réalité, cet imaginaire part d’un postulat : sur le plan politique, rien ne change profondément. Il est « toutes choses égales par ailleurs ». On réfléchit à « impuissance politique constante ».
De fait, il y a une profondeur historique du libre marché qui empêche environ deux tiers de la population d’imaginer autre chose. Pas de contre-modèle vertueux autre part dans le monde. Pendant longtemps, l’humanité a nié l’existence des microbes car ils n’entraient pas dans son champ de conscience, faute de microscope. On nie la possibilité de modèles alternatifs faute d’en voir, mais jamais rien n’est gravé dans le marbre en Histoire, du moins ce serait bien la première fois.
Selon moi, et je suis en réalité loin d’être le seul à penser cela, la France est entrée depuis 2 ans dans un processus d’effondrement latent. En fait tout le monde le pressent : les urgences s’effondrent et se faire soigner est devenu une grande source de stress, l’école publique est devenue un capharnaüm, la nourriture coûte un bras, la SNCF s’effondre alors que ses prix explosent, on a désormais peur de la police (surtout quand on manifeste), l’eau est rationnée dans certains endroits, les responsables politiques sont dans un monde à part, les gens n’ont plus le cœur à l’ouvrage, plus le goût du service, on sent un retour du chacun pour soi, le sentiment d’appartenance au pays n’existe que le temps d’un match de foot, etc.
Bonne nouvelle, cet effondrement n’est que le fruit de décisions politiques visant à orienter un maximum de richesses du travail vers le capital. Il peut être légèrement catalysé par les sécheresses par exemple, mais le climat n’est pas la cause.
Donc la croyance dans un changement de paradigme politique devrait prévenir de l’écoanxiété.On imagine plus facilement la fin du monde que la fin du capitalisme, preuve de sa puissance culturelle.
C’est donc plutôt le sentiment d’impuissance politique qui crée de l’écoanxiété. Nous n’avons plus aucune confiance dans ceux qui dirigent pour régler le problème climatique. Et nous n’avons pas vraiment confiance dans le personnel politique d’opposition, qui n’est pas vraiment à la hauteur.
Je pense qu’il est possible de vivre plus heureux à +4°C qu’aujourd’hui, et je pense que ce message est libérateur. Est-ce les aléas climatiques qui font les malheurs quotidiens ? Non. Est-ce que les aléas climatiques peuvent empêcher une société bien adaptée de fonctionner ? Non. Que veut dire société bien adaptée ? Agro-écologie, service public fort, arbres, hydrologie régénérative, bâtiments passifs, remplacement des biens par les liens et l’épanouissement personnel, végétalisation des villes, sortie du pétrole, baisse du temps de travail, multilatéralisme fort, mécanismes d’entraide rodés… etc.
On sait déjà quoi faire. Est-on plus heureux dans une société bien adaptée ? Oui. Est-ce une question de choix politique ? Oui. Y a-t-il des solutions techniques, même naturelles, susceptibles d’éviter l’effondrement ? Non, puisqu’il s’agit d’une question d’organisation politique.
Une nouvelle organisation politique dispose-t- elle de techniques d’adaptation massive et de technologies vertueuses ? Oui, la technique suit toujours la volonté politique. Le problème, c’est que pour 70% des gens, la politique fait écho à la peur profonde de la séparation, puisqu’elle est perçue comme clivante. Doit-on tous travailler sur notre peur de la séparation ? Oui. Le moins on est dans la peur, le plus on est dans le discernement. Cela passe-t-il par se témoigner de l’amour régulièrement pour se sécuriser affectivement ? Oui. Cela passe-t-il par la maîtrise de notions de psychanalyse élémentaire ? Oui, aussi, car il faut que chacun trouve la source de sa peur de la séparation, de l’abandon.
Or être heureux dans un monde qui s’effondre peut entrainer de la culpabilisation (influence de notre héritage moral judéo- chrétien), surtout dans les milieux les plus conscientisés et militants, ou l’éco-anxiété est presque devenue un marqueur social, quelque chose de commun qui créer du lien.
La solution donc, la (re)politisation de masse pour sortir à la fois du sentiment d’impuissance et de l’écoanxiété, concorde avec un accroissement du bonheur individuel. On ne remplit pas le verre de l’autre lorsque sa carafe est vide, et on n’éteint pas l’incendie climatique sans eau.
Pierre Gilbert