À l’occasion du Grand Entretien avec Fatima Ouassak organisé par le Mouvement de l’Écologie Culturelle, en partenariat avec Vert, Pioche! et l’Académie du Climat, nous nous sommes entretenus avec un autre penseur des liens entre écologie, culture et quartiers populaires : Makan Fofana.
Makan Fofana a grandi dans les Yvelines, à la Verrière. Diplômé d’un master en Design ainsi que d’un master en Prospective, il prépare un doctorat sur les imaginaires écologiques et leurs relations avec la culture populaire. Écrivain et philosophe, il a écrit La banlieue du Turfu (ed TANA, 2021). Associant ses réflexions à sa pratique du design, il a fondé le laboratoire Hypercube.
Makan Fofana nous a indiqué ne pas avoir la prétention de représenter toutes les banlieues ni d’en dresser un tableau exhaustif. Il tient, par cet entretien, à témoigner de son amour, de son expérience pour l’environnement au sein duquel il a grandi et évolué.
“Ce que j’aime dans l’écologie c’est cette nouvelle conscience qui vient frapper tous les domaines, toutes nos expériences, en nous obligeant à nous repenser, à repenser nos modes de vie et de réflexion”
La genèse des réflexions de Makan Fofana est liée à un constat : l’écologie est trop souvent dépeinte comme un idéal homogène, unique et prétendument universel. Il faut dès lors penser une écologie plurielle. Mieux, des écologies doivent nous être proposées. L’écologie est, selon lui, souvent verticale et binaire pour les habitants des quartiers populaires : “Quand on vit dans un quartier, l’écologie lorsqu’elle nous parvient nous bouscule. Elle provoque une dissonance cognitive”. De là découle ce qu’il nomme “un malaise écologique”. Pour que le projet écologique gagne, il ne faut pas qu’il soit imposé parce qu’il serait bon pour la planète, mais plutôt qu’il s’enracine dans les banlieues à travers la culture, la sensibilité et le projet de vie.
“Je n’ai même pas eu le temps de goûter à l’existence, d’avoir de grands diplômes, de profiter du système capitaliste, que l’on me parle de sobriété, que l’on me coupe l’herbe sous le pied. C’est d’une violence extrême. Il y a un conflit des modes de vie et des imaginaires”.
Pour que ces écologies enracinées émergent, il faut, d’après Makan Fofana, d’une part rompre avec une écologie citadine. Le biais qui guette les écologistes est selon lui le conditionnement de l’idéal de la sobriété par une réussite sociale, économique ou symbolique préalable. D’autre part, il faut créer de nouveaux imaginaires pour sortir d’un paradigme de l’ascension par la réussite capitalistique dans les quartiers populaires. Dans le système écologique que conçoit l’essayiste, les valeurs et les idéaux sont les mêmes à travers la société. Le corpus scientifique est le même à travers la société, mais les voies d’interprétation, influencées par l’expérience de vie, sont différentes. Dès lors, des expériences plurielles de l’écologie peuvent émerger. Il n’y a plus une bonne écologie, mais des écologies dont chacun, et notamment les habitants de quartiers populaires, peuvent s’emparer, transcendés par de nouveaux imaginaires.
Ouvrir le champ des imaginaires, c’est précisément la (vaste) tâche à laquelle Makan Fofana s’attelle dans ses travaux. D’après lui, un imaginaire demeure dans les banlieues : “la question du succès et de la réussite est centrale, autour d’un imaginaire : quitter le quartier”. Cela se retranscrit dans les pratiques sportives, mais est également au cœur de la création culturelle et artistique : dont le rap est un exemple éclairant.
Pour Makan, la réussite individuelle ne doit pas être le seul imaginaire cultivé. Il faut penser un imaginaire collectif. Il s’attaque également aux projections. Pour voir plus loin et avoir un horizon plus vaste il faut créer les conditions de projections dans un futur souhaitable et réenvisager l’enracinement et l’attachement des habitants des quartiers populaires à leur territoire.
De là naît son écologie, l’écologie du Turfu. Cette forme d’écologie prend d’abord racine dans une mésologie du Turfu :
“L’environnement ne témoigne que d’un rapport scientifique, froid et distant au monde. Lorsque l’on parle de milieu, l’individu a intériorisé son environnement, de sorte qu’il a envie d’agir positivement sur et pour son environnement, c’est ce qu’il faut générer. La mésologie a pour objectif de transformer un environnement en milieu. Un milieu sécurisant pour stimuler les projections et l’imagination”.
Pour réaliser cette réharmonisation de l’être humain et de son milieu, les écologies doivent être respectueuses. Parce que l’environnement des quartiers populaires est souvent hostile à ses propres habitants, les écologies doivent témoigner d’un rapport au vivant équilibré et apaisé. Elles doivent être plurielles en expérience, en s’inscrivant dans un contexte social, politique, migratoire pour être inclusives.
Ces écologies doivent d’ailleurs émerger des quartiers populaires d’après le philosophe. Animant de nombreux ateliers en banlieue, il témoigne du fait que la thématique écologique soit un sujet récurrent des échanges qu’il entretient : “on me parle d’écologie, pas d’écologie politique”. En cela, l’art et la culture sont des outils pertinents pour repenser le rapport au monde et au futur (Turfu).
Mais l’ancienne culture est à la fois le témoignage, l’expression des anciens imaginaires, et elle conduit par ailleurs à leur reproduction. De là, il faut transformer les cultures modernes et anciennes pour les aligner avec des imaginaires collectivement souhaités et souhaitables.
Dans ses travaux et dans son quotidien Makan remarque en effet que le Japon et sa culture sont omniprésents dans la vie des quartiers. De telle manière “qu’un jeune de quartier vit davantage dans les mangas, qu’il lit plusieurs heures par jours, que dans la banlieue”. D’après l’essayiste, Le Japon ou Dubaï agissent comme des “eldorados” qui concentrent les aspirations des jeunes de quartiers populaires.
Pour sortir de cet idéal de fuite et de cette projection souhaitée ailleurs, hors du quartier, Makan défend une écologie de la circulation : “Rendre collectivement le quartier riche et rendre le quartier riche de son collectif”. Pour ce faire, il faut “rompre l’imaginaire de la binarité : de l’enfer et du paradis. Il faut garder cette propension à se tourner vers l’ailleurs, mais il faut que la richesse circule avec un retour, pour former un cercle vertueux. Le Japon doit être l’idée de ton quartier réussi”.
Il faut penser le quartier en “archipel du turfu”, afin de sortir des réalités urbaines et tendre vers un milieu naturel, où tout circule. Réenchanter la banlieue à l’aune du collectif qui l’habite, par l’écologie.
“Une écologie qui marche est un engrais qui vient revitaliser les gens, revitaliser la culture, revitaliser la politique, mais surtout revitaliser l’humain”.
La pluralité écologique doit donc se traduire par une diversité des imaginaires, des idéaux. Pour pallier le rapport ambivalent à l’enracinement des habitants des quartiers populaires (un attachement relatif et la volonté de partir), il faut transformer l’environnement en milieu : intimement et collectivement. Il faudra alors penser une nouvelle manière d’habiter. De nouveaux modes d’habiter auquel Makan Fofana réfléchit activement … À suivre !
Makan Fofana est actuellement en train de réaliser sa thèse. Pour accompagner ses réflexions, il recherche des financeurs pour son doctorat : hyperkaaba@gmail.com