Réconcilier Liberté, Écologie et Plaisir

par | Sep 5, 2023 | Idée | 0 commentaires

Concilier Liberté et Egalité dans l’Écologie :

Comment rester fidèle à soi-même quand on s’engage? Comment développer son individualité dans un collectif qui charrie nécessairement une pensée dominante? 

Pour répondre à ces questions, il faut partir de nos aspirations individuelles de Liberté pour penser nos engagements collectifs et nos aspirations à l’Égalité. Un mouvement part autant des gens que des idées. Pour cela, le développement de soi ne doit pas être dissout dans le développement du collectif. 

La perte de sens, les crises sociales et les réactions identitaires que nous observons sont les symptômes d’une crise de reconnaissance mais aussi de responsabilité. Nous avons été déresponsabilisés politiquement de notre environnement naturel et social. Ce qui arrive au voisin ou à la forêt d’à côté ne nous concerne plus. Et quand bien même on voudrait s’y intéresser, le monde est devenu trop compliqué pour avoir une quelconque incidence dessus. Les gouvernements vers qui nous devrions pouvoir nous tourner pour nous protéger ne sont pas à la hauteur des enjeux. Ils ne veulent pas voir la source des “effondrements” de nos écosystèmes et de nos communautés.

Le projet écologique doit être un projet radical de liberté. Si on le définit comme le projet de conservation des conditions d’habitabilité de la Terre pour l’humain, alors il est par essence un projet de garantie de libertés: celles de vivre, boire, manger, évoluer dans un milieu sain…etc. Mais il peut être beaucoup plus que cela. Il est l’occasion de briser la hiérarchie des savoirs et l’imperméabilité des disciplines, de générer une démocratie où chacun.e peut s’exprimer. Nous ne voulons pas d’une écologie bien pensante qui sélectionnerait les discours audibles des inaudibles, les “experts” des “ignorants”. Pour espérer voir l’avènement d’une société écologique, doit-on affirmer qu’il existe autant d’écologies que d’individus? Paradoxalement, le néolibéralisme génère prive de libertés l’individu, et ces nouvelles personnes atomisées se retrouvent perdues, uniformisées et névrosées malgré les promesses d’émancipation. Loin de les libérer, ce système économique et politique résigne et rabote toute tentative d’émancipation non marchande.

Le projet écologique lui, pour réussir, doit passer d’un individualisme à un individuelisme (Lucien Sève). Ce dernier terme renvoie à des cadres collectifs émancipateurs, qui laissent la place à chaque individus pour exprimer sa particularité dans toute institution sociale, très loin de l’égalitarisme totalitaire des mouvements politiques du XXème siècle. Le passage au collectif est bien nécessaire pour faire changer nos institutions, mais c’est aussi au service de l’individu, de sa diversité et de ses désirs que l’engagement doit se faire pour être durable.

Actuellement, l‘écologie politique ignore la question de la liberté individuelle et la notion de plaisir (en tant que jouissance individuelle) qu’elle sous tend. Pour forcer (à peine) le trait, l’Écologie et la gauche progressiste sont perçues depuis les années 1980 comme le camp de la privation du plaisir et de la liberté individuelle. “Sauver la Planète” est actuellement associé à une privation de libertés (de faire, de consommer et donc de penser…) et passe par des “tu dois”, sous l’autorité de l’urgence à agir. Mais cette stratégie est dangereuse quand elle n’est pas contre-productive, car l’effet d’urgence peut autant paralyser que mettre en mouvement, et l’injonction peut braquer et priver d’un sentiment de liberté la personne “à convaincre”. Comme le résume si bien Tristan Garcia, remplacer des tu dois par des tu peux” redonnerait du possible et donc un sentiment de liberté individuelle aux personnes indifférentes ou à convaincre.

Résister par la fête :

Comment concrètement associer plaisir et écologie? Contre toute attente, la fête et le plaisir peuvent être un excellent moyen d’acquérir des espaces d’émancipations individuelles et collectives. “La fête, au fond, c’est trouver un accord entre la liberté et l’égalité pour qu’il devienne sensible, joyeux et pas simplement sacrificiel”, défend le philosophe Michaël Foessel dans son livre Quartier Rouge, qui a grandement inspiré cet article.

L’esprit du carnaval, de l’occupation joyeuse des usines en 1936 ou celle des Gilets Jaunes sur les rond-points ces dernières années sont des moments de reconnaissance, de plaisir et donc d’émancipation pour des populations délaissées par les gouvernements. Oeuvrons dans ce sens en créant des nouveaux espaces d’inventions individuelles qui préfigurent des nouveaux espaces d’intervention collectives. L’approche de l’Écologie culturelle vise à retirer nos œillères et rendre visible que l’Écologie est avant tout un gain potentiel de nouveaux plaisirs et de libertés, une perspective joyeuse, festive, inclusive et plurielle au service de l’émancipation de l’individu. 

                                                         

      Clément Descarrega

Les idées de Tristan Garcia (conférence sur le “nous” politique) et de Michaël Foessel (entretien sur son dernier livre “Quartier Rouge”) ont été des boussoles dans la rédaction de cet article. Elles donnent une perspective et des explications lumineuses sur l’environnement politique actuel.